ASPECT JURIDIQUE
La DREAL de Bourgogne Franche-Comté estime qu’il n’y pas de fondements juridiques solides à un arrêté préfectoral d’interdiction de la circulation aux poids lourds en transit sur la RN 83.
Rappelons que sur cet itinéraire classé à grande circulation, apparemment, seul le Préfet est habilité à prendre un arrêté d’interdiction.
Or cette approche est plus que discutable.
Le Conseil d’État a rendu des jugements qui autorisent les maires à prendre de tels arrêtés.
Le Conseil d’État a admis la légalité d’un arrêté municipal [d’interdiction aux poids lourds] motivé par le danger permanent que constitue pour les habitants de la commune le trafic routier (étroitesse de la chaussée rendant difficile la circulation et le cas échéant l’organisation de secours minimum) et l’atteinte permanente à la tranquillité des riverains qu’occasionnait la circulation des poids lourds. Cet arrêté était assorti de dérogations, notamment pour la desserte de la commune et indiquait que l’autoroute constituait l’itinéraire de déviation de l’agglomération (C.E., 13 mai 1987, Aldebert)
Ont été jugés légaux par le Conseil d’Etat des arrêtés municipaux interdisant la circulation sur la route nationale traversant l’agglomération aux transports routiers de marchandises d’un poids total en charge de plus de 6 tonnes, mais prévoyant des exceptions permettant la desserte locale à ceux des véhicules dont les origines ou destinations sont limitées à l’agglomération, et instituant des itinéraires autorisés pour traverser la ville pour ceux qui devraient emprunter certains axes de circulation transversaux (Par ex. CE, 13 juin 1979, req n°05767). Cette interdiction, ni générale, ni absolue, ne porte atteinte ni à la liberté du commerce et de l’industrie, ni à la liberté de circulation. Ces mesures qui sont justifiées par le souci d’assurer, à l’intérieur de la ville, la tranquillité publique des riverains et la sécurité du passage sur les voies publiques, ne présentent pas un caractère excessif pour les transporteurs concernés, car ceux-ci peuvent aisément contourner l’agglomération, même s’il leur faut emprunter la déviation autoroutière qui peut les obliger à acquitter un péage. (C.E., 1er février 1978, Coing ; C.E., 14 novembre 1980, société des transports André Coing).
Il est vrai que dans d’autres jugements, le Conseil d’État a mis en avant le respect de la liberté de circulation et du commerce. Par ailleurs, l’Europe est très sourcilleuse sur la liberté de circulation des personnes et des biens. Les arrêtés préfectoraux sont systématiquement attaqués en justice par des transporteurs et l’État et les Préfets les craignent beaucoup.
Des amendements à la loi sur les mobilités de l’automne 2020 ont été déposés (Mme Bonnefoy, sénatrice) pour permettre aux collectivités locales de prendre de tels arrêtés. Les amendements ont été retoqués par le Ministère.
Pourtant, tout est possible !
Il existe des précédents.
Dans les Vosges, sur la RN 59 au profil comparable à celui de la RN 83, avec un trafic quotidien de 1600 camions, un arrêté préfectoral a été pris en 2000 pour interdire la circulation aux poids lourds (sauf desserte locale, c’est-à-dire bon de chargement ou déchargement dans les départements concernés) sur un tronçon d’environ 100 km, le temps de la réfection d’un tunnel. La déviation mise en place ne permettait pas aux poids lourds de rouler en sécurité. Quand les travaux du tunnel ont été achevés, il y a eu unanimité pour maintenir l’arrêté d’interdiction aux poids lourds. Et là le détour préconisé par autoroute n’est pas de 14 km, mais il s’agit de l’A36 par la Franche-Comté ou l’A4 dans le nord de la Lorraine !
Les motivations de l’arrêté préfectoral de maintien de l’interdiction aux poids lourds est intéressant :
« Considérant l’efficacité, selon les objectifs de tranquillité publique, de sécurité routière, de préservation de l’environnement et de fonctionnement de l’économie locale… considérant la qualité du massif vosgien… »
L’association « Gascogne sans poids lourds », avec laquelle nous sommes en contact, vient d’obtenir le déclassement d’un tronçon de route à grande circulation et une interdiction aux plus de 19 t.
Tout près de nous, en Suisse, une votation a imposé le ferroutage pour les camions en transit.
Aujourd’hui, 70 % de ces camions sont sur le rail.
Dans un premier temps, il est possible d’interdire le trafic aux poids lourds en accompagnant cette mesure
– par de la pédagogie auprès des transporteurs (concertation, aspects économiques, image de marque…)
– en reprenant la main sur les concessions autoroutières.
– en modulant la TICPE pour la rendre plus vertueuse.
Mais aussi de minimiser l’impact du transport sur l’environnement
– en développant le ferroutage
– en mettant en place des bonus-malus sur les transports vertueux (transit essentiellement).
– en « récompensant » la logistique vertueuse (« pas de 24 h chrono »).
– en contrôlant mieux les poids lourds et petits véhicules de transport.
– en faisant participer réellement le transport à l’entretien du réseau (écotaxe ?)
– en multipliant les messages en direction des consommateurs
La loi « climat et résilience » votée en Août 2021 obligera les Préfets à recenser les axes où le trafic est le plus dense et à organiser une concertation avec les partenaires concernés (avant janvier 2023). Cette même loi ouvre la possibilité pour les Régions d’instaurer une « écotaxe » sur certains axes, même sur les routes nationales, mais pas avant 2024.
Les citoyennes et citoyens de nos territoires attendent des mesures rapides et concrètes et sont très déterminés. .